La décision du Conseil des ministres du mercredi 4 septembre 2024 de soumettre un projet de loi à l’Assemblée Nationale pour encadrer la chefferie traditionnelle en République du Bénin soulève un débat important. Bien que l’initiative semble reconnaître légalement une institution ancrée dans l’histoire du pays, elle suscite des interrogations sur les réelles motivations de l’État. S’agit-il d’une volonté sincère de préserver le patrimoine culturel ou d’une manœuvre visant à mieux contrôler ces entités influentes ?
Une modernisation sous contrôle
Le projet de loi entend moderniser la chefferie en lui donnant un cadre légal adapté aux exigences de l’État. Toutefois, en cherchant à réglementer une institution basée sur des coutumes millénaires, l’État court le risque de dénaturer l’essence même de cette chefferie. La création d’une chambre nationale de la chefferie traditionnelle et l’imposition de sanctions en cas de manquements semblent indiquer une prise de contrôle progressive. Ce cadre légal pourrait ainsi, à terme, transformer la chefferie en un relais politique du pouvoir, bien loin de son rôle originel de gardienne des traditions et des coutumes locales. La question se pose donc : jusqu’où peut aller cette intervention de l’État sans altérer l’authenticité de la chefferie ? Ce projet pourrait marquer la fin de l’indépendance de ces royautés, qui, autrefois, régnaient avec une autorité indépendante, ancrée dans le respect des traditions.
Le risque d’une assimilation des chefferies aux organisations sous contrôle
L’histoire récente du Bénin montre que lorsque l’État encadre une institution, la liberté initialement promise se transforme souvent en contrôle étatique. Un exemple frappant est celui des organisations estudiantines, qui jouissaient autrefois d’une liberté d’action. Cependant, avec le décret n° 2017-485, leur autonomie a progressivement été réduite, et elles sont aujourd’hui soumises à des restrictions sévères, limitant leurs possibilités de contestation. Bien que l’État prétende garantir leur liberté, la réalité montre que ces organisations sont, en fait, sous le contrôle strict de l’appareil étatique. Si un cadre juridique similaire est appliqué à la chefferie, il est fort probable que les royautés subissent le même sort. Cette évolution soulève donc la crainte que la chefferie traditionnelle, malgré les promesses de reconnaissance et d’autonomie, devienne à son tour une institution placée sous l’influence de l’État.
Récupération politique ou préservation culturelle ?
Ce projet de loi pourrait ainsi être perçu comme une tentative subtile de récupération politique des chefferies par l’État. Ces institutions, historiquement influentes, pourraient devenir un outil au service du pouvoir central, masqué derrière un discours de préservation culturelle. En se rapprochant des chefferies, l’État pourrait en faire des alliées stratégiques, notamment pour renforcer sa légitimité auprès des populations locales.
L’avenir de la chefferie traditionnelle, autrefois fièrement indépendante, semble désormais incertain. Si l’objectif affiché est de moderniser et de protéger cet héritage culturel, la réalité pourrait être tout autre : un renforcement de l’emprise étatique sous couvert de préservation. La chefferie béninoise pourrait ainsi se retrouver dans la même situation que les organisations syndicales, bénéficiant d’une “liberté” encadrée, mais totalement soumise aux volontés du pouvoir.
La chefferie traditionnelle doit-elle être un symbole de préservation culturelle ou le dernier bastion à conquérir pour un État en quête de contrôle total ? Le débat est ouvert.
Joseph HESSOU